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7 décembre 2007 5 07 /12 /décembre /2007 07:24
Loutarwen en parle
Mots sur la brise nocturne.

Xinran c'est un peu la Ménie Grégoire de la Chine, pour ceux qui s'en souviennent (de Ménie Grégoire, je veux dire).
Journaliste et animatrice d'une émission de radio, elle recueille les témoignages de femmes. De femmes de Chine. De Chinoises, donc.
[...] Bonsoir, amis de la radio, vous écoutez "Mots sur la brise nocturne". Mon nom est Xinran, et je débats en direct avec vous du monde des femmes. De dix à douze tous les soirs, vous pouvez vous mettre à l'écoute de la vie des femmes, des battements de leurs coeurs et écouter leurs histoires.
De ses enquêtes et témoignages, elle en tirera ce bouquin. Parce que le Vieux Chen lui a dit : «Xinran, vous devriez écrire tout cela. Écrire permet de se décharger de ce que l'on porte [...]. Si vous n'écrivez pas ces histoires, leur trop-plein va vous briser le coeur».
Résultat, c'est notre coeur à nous qui se fendille un peu à cette lecture.
Parce que c'est tout simplement effarant : comment peut-on vivre cela ? comment peut-on faire vivre cela ?
On se croirait au Moyen-âge, au mieux au siècle dernier (enfin, l'avant-dernier).
Mais non, toutes ces histoires ont été recueillies entre ... 1970 et 1990 ! Effarant.
[...] - Je vous raconterai l'histoire de ma fille, si vous voulez, mais pas ici. Je ne veux pas que les enfants me voient pleurer».
Ou encore :
[...] Il ne me restait qu'à demander à la directrice Ding si elle acceptait que je l'interroge. Elle a acquiescé, mais m'a suggéré de patienter jusquau jour de la fête nationale avant de revenir la voir. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a répondu :
- Mon histoire ne sera pas longue, mais la raconter va me rendre malade pendant plusieurs jours. J'aurai besoin de temps pour m'en remettre
».
Tout est dit : au lecteur aussi, il faudra quelques jours pour s'en remettre, même si la distance du livre de papier et de la lointaine Chine rend les choses heureusement moins vraies.
C'est la dure condition féminine qui est donnée à lire ici. La terrible condition des femmes chinoises de la fin de ce siècle (le dernier, cette fois) alors que la Chine est en train de s'ouvrir et qu'il est désormais possible de parler. Un peu.
Il est question d'inceste, de viols, d'ignorance et de misère sexuelle, de mariages arrangés (par le Parti, on n'est plus au Moyen-âge ! ah, ah), de séparations entre mère et fille, tout cela sur le fond de l'histoire toute récente de la Chine (et ce n'est pas le moins intéressant du bouquin).
Et notamment les drames nés pendant les terribles années de la Révolution Culturelle.
L'écriture est sobre et simple (Xinran est journaliste), le propos tout en retenue, entièrement au service de ces histoires crues, dures et vraies, qui se suffisent malheureusement à elles-mêmes.
La plus belle (sans doute parce que c'est la seule qui met en cause une catastrophe naturelle et non pas la noirceur humaine) est celle du tremblement de terre [extraits] :
[...] Ce matin-là, avant l'aube, j'ai été réveillée par un bruit étrange, un grondement et un sifflement, comme si un train était entré dans notre maison. [...] Tout est arrivé si vite. Je me suis traînée face au trou béant qui avait été l'autre moitié de ma maison. Mon mari et mes enfants s'étaient évanouis sous mes yeux. [...]
Cela fait presque vingt ans maintenant, mais presque tous les jours à l'aube, j'entends un train qui gronde et qui siffle, et les cris de mes enfants. Parfois je suis si effrayée par ces sons que je me mets au lit très tôt et je glisse un réveil sous mon oreiller pour me réveiller avant. Quand il sonne, je m'assieds jusqu'à ce qu'il fasse jour, parfois je me rendors après quatre heures. Mais au bout de quelques jours de ce traitement, j'ai envie d'entendre ces bruits de cauchemar de nouveau, parce que j'y entends aussi les voix de mes enfants.

Ouf. Il faut avoir le coeur bien accroché pour aller au bout de cette douzaine d'histoires (comme autant de petites nouvelles, de petits reportages) et découvrir derrière ces épouvantables tranches de vie, la vie justement, la force vive qui a permis à ces femmes de traverser ces épreuves, d'y survivre ... et de les raconter.
Pour finir sur une note un peu plus légère, on relèvera quelques dictons et proverbes qui émaillent ce bouquin ... comme tout bon livre chinois :
Dans chaque famille, il y a un livre qu'il vaut mieux ne pas lire à haute voix.
La première personne qui a mangé du crabe a dû aussi manger de l'araignée avant de se rendre compte que ce n'était pas bon.
À la campagne, le ciel est haut et l'empereur est loin.
L'argent rend les hommes méchants, la méchanceté rend les femmes riches.
Les épouses des autres sont toujours mieux, mais les meilleurs enfants, ce sont les notres.
L'eau porte le bateau, elle peut aussi le faire chavirer.
Si vous vous tenez droit, pourquoi redouter que votre ombre soit tordue ?
Le poulet dans se mangeoire a du grain, mais le pot à soupe n'est pas loin. La grue sauvage n'a rien, mais son monde est vaste.
Il faut craindre les mains des hommes et la langue des femmes.
Et pour finir, en guise de conclusion et de résumé :
Les femmes sont comme l'eau et les hommes comme les montagnes.
Les hommes ont besoin des femmes pour se former une image d'eux-mêmes - comme les montagnes se reflètent dans les rivières. Mais les rivières coulent des montagnes. Où est la bonne image ?
Mais quelle terrible image des hommes donne donc le miroir tendu ici par Xinran ?

Pour celles et ceux qui aiment les histoires vraies même quand elles sont terribles.
Loutarwen et Lhisbei en parlent aussi.
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