6 février 2008
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Amour et trahison.

Une traduction difficile des deux idéogrammes chinois 戒 jiè 色 sè : être prudent, sur ses gardes ou même donner l'alarme pour le premier, plaisir, amour de la beauté ou encore expression du visage pour le second. Deux clés de lecture essentielles de ce très beau film.
C'est aussi le titre en VO du bouquin d'Eileen Chang dont est tiré le scénario.
Eileen Chang (ou Zhang Ailing en VO) dont, heureux hasard, on vient de lire Un amour dévastateur (on en parlera demain).
Une auteure réputée pour ses romans écrits pendant les années de l'occupation japonaise (le tout début des années 1940).

L'une des leurs (Wang, jouée par Tang Wei, un ancien mannequin dont c'est le premier rôle) est chargée de se jeter dans les bras de Mr. Yee. Cette première affaire (théâtre amateur, complot amateur) tourne mal et les jeunes gens y perdront tous leurs illusions et surtout leur innocence (et à plus d'un titre pour la jeune femme).
Trois ans plus tard, on retrouve tout le monde à Shanghaï, toujours sous le joug de l'occupant japonais.
Cette fois Wang est contactée par la résistance, c'est du sérieux, et elle se retrouve à nouveau chargée de séduire Mr. Yee ...

C'est donc de théâtre qu'il s'agit et plus précisément du « rôle » à jouer et à tenir.
Puisque Wang acceptera pour la bonne cause d'endosser les robes et la personnalité de Mme. Mak pour devenir la maîtresse de Mr. Yee.
Et puisque Mr. Yee avait accepté pour la survie des siens de n'être qu'un pantin dans les mains des japonais.
Dans ce jeu du chat et de la souris, le collabo tortionnaire dira d'ailleurs à son amante traîtresse : Je sais, bien mieux que toi, ce que faire la putain veut dire ...


Un formidable duo d'acteurs (on connaissait bien sûr Tony Leung (In the mood for love) - Tang Wei est une révélation, capable d'incarner la jeune fille étudiante et enthousiaste tout comme la femme séductrice et fatale).
Tout passe dans leur jeu, dans leurs regards. Sur leurs visages filmés au plus près par une caméra entièrement à leur service.
Chaque scène est d'une rare intensité où chaque mot, chaque geste, chaque regard compte et compte juste : la pièce de théâtre au début, le tête à tête au restaurant, les parties de mah-jong, l'escapade dans une chambre d'hôtel, l'essayage chez le tailleur, l'achat d'une bague chez un libanais, scènes de séduction, scènes d'amour, ... un véritable festival pendant 2h30 qu'on ne voit pas passer et où l'on se surprend le sourire aux lèvres, non pas parce que l'histoire s'y prête, loin s'en faut, mais tout simplement parce que l'on est ravi de se trouver dans la salle pour partager ces moments.
Les deux personnages, prisonniers de leurs « rôles », sont terriblement seuls et ce n'est qu'au lit (très belles scènes encore) qu'ils se dévoilent presque l'un à l'autre, et à eux-mêmes, essayant vainement de se perdre chacun dans le regard de l'autre.
On dirait parfois du Racine et c'est d'ailleurs filmé comme du théâtre.

Une époque où les femmes savaient encore dissimuler un oeil derrière l'inclinaison du chapeau ...
Deux grands acteurs et un grand moment de cinéma.
MAM a loupé ça (en vacances au Bénin, bien fait pour elle) mais BMR a hâte de retourner au cinoche une seconde fois avec elle, vibrer auprès de la belle Tang Wei et du beau Tony Leung.
En prime, la belle musique d'Alexandre Desplat :
Pour celles et ceux qui aiment les couples tragiques.
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