Excellente découverte que ce Brothers du chinois Yu Hua (un ancien dentiste !).
Un auteur contemporain qui décrit la Chine contemporaine.
Son bouquin est une véritable saga qui déroule cinquante ans de l'Histoire récente de la Chine moderne, depuis avant les années noires de la Révolution Culturelle jusqu'à l'avènement de l'économie de marché, il y a peu.
Rien que pour ce passionnant voyage dans le temps, ce gros pavé mérite le détour.
On retrouve là un peu de l'intérêt qu'on avait porté aux écrits de Chi Li (dans Tu es une rivière, par exemple) qui faisait, elle aussi, défiler l'Histoire de la Chine moderne.
Mais la comparaison s'arrête là : le néo-réalisme de Chi Li nous décrivait une Chine pauvre, misérable, sordide.
Au contraire, Yu Hua donne dans le truculent, l'humour bon enfant, et même le grivois, pour nous raconter la vie de deux demi-frères, Song Gang et Li Guangtou.
Même si cette ironie et ces amusements parfois un peu naïfs (à la chinoise) ne cherchent même pas à cacher l'émotion.
La réalité décrite par Chi Li et Yu Hua est pourtant la même et les dures années de la Révolution Culturelle auront également marqué tous les chinois.
D'aiileurs, les deux demi-frères de Brothers y perdront leurs parents, piétinés par la révolution prolétarienne en marche et s'y retrouveront orphelins. Ça crée des liens, comme on dit.
[...] Il avait eu un frère, nommé Song Gang, auquel il était très lié. Song Gang était son aîné d'un an, il le dépassait d'une tête et c'était un type honnête et intransigeant. Il était mort trois ans auparavant et n'était plus qu'un tas de cendres dans une minuscule boîte en bois. Quand Li Guangtou pensait à cette petite boîte où Song Gang était enfermé, il soupirait : même un arbuste calciné aurait produit plus de cendres.
Des liens indéfectibles qui marqueront la vie de ces deux personnages tout au long du roman.
Au point qu'ils tomberont amoureux de la même femme.
Ce roman social ou historique est donc aussi une belle histoire d'amour, dans le décor exotique d'une petite ville de Chine.
[...] Avant de quitter le bourg des Liu pour prendre son deuxième envol, Li Guangtou se rendit comme l'autre fois à la boutique de dim sum de la mère Su pour y manger des petits pains farcis à la viande. Tout en mastiquant, il sortit son passeport de sa veste râpée et le montra à la mère Su pour élargir son horizon. La mère Su prit le document avec curiosité, l'examina sous toutes les coutures et, comparant la photo du passeport avec l'individu qu'elle avait sous les yeux, elle remarqua :
- On dirait vraiment que le type sur la photo c'est toi.
- Comment ça, on dirait ? mais c'est moi, répliqua Li Guangtou.
La mère Su n'arrivait pas à détacher ses yeux du passeport :
- Et avec ça, tu peux sortir de Chine et aller au Japon ? s'étonna-t-elle.
- Évidemment, répondit Li Guangtou, qui reprit son passeport des mains de la mère Su : Tu as les mains grasses.
La mère Su, confuse, s'essuya les mains sur son tablier, et Li Guangtou frotta le passeport avec sa manche râpée pour en effacer les taches de gras.
- Tu vas aller au Japon habillé comme ça ? demanda la mère Su en regardant les vêtements râpés de Li Guangtou...
Au fil des pages, des saisons et des ans, on partage la vie de ces deux frères et de leur village en route vers la modernité.
On regrettera juste dans le dernier quart du bouquin l'apparition d'un personnage un peu fantasque qui donne l'occasion de quelques péripéties grivoises et peu crédibles. Mais cela ne suffit pas à gâcher le voyage.
Un livre idéal pour découvrir la Chine et ses chinois.
Pour celles et ceux qui aiment les sagas lointaines.
Actes Sud édite ces 693 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut (dont il faut, au passage, saluer les notes explicatives sur le contexte historique ou social du pays).
Une interview de Yu Hua (en anglais).