Avec son Cœur cousu, Carole Martinez a frappé fort : son premier roman est couronné de prix et encensé de (presque) tous.
Elle nous y relate un véritable conte, dans une Espagne donquichottesque et sans trop d'époque(1).
L'histoire de Frasquita, une couturière à moitié magicienne ou à moitié sorcière, c'est comme on veut, capable de donner vie aux pièces de tissu (... ou de chair) qu'elle recoud.
L'histoire de Frasquita et de ses nombreux et étranges enfants : une fille muette qui sait lire mieux que tout le village réuni, une fille qui chante plus haut que les oiseaux, un fils aux cheveux rouges, une autre fille née avec des plumes de poulette, une autre encore qui luit dans le noir la nuit, ...
[...] Alors tous s'accordèrent à dire que, dans l'ombre, la petite Clara luisait.
Et pas seulement les mauvaises langues, puisque aujourd'hui encore ma sœur Anita elle-même raconte cette histoire d'enfant lumière, elle affirme que c'était dans la chair, que quelque chose y brûlait si fort qu'on aurait pu utiliser son petit corps de deux ans pour éclairer une pièce.
Durant ce dernier hiver qu'ils passèrent à Santavela, certains soirs dans la maison vide, la lumière qu'elle dégageait était assez intense pour qu'Anita qui dormait dans sa chambre se glissât contre son berceau et poursuivît sa lecture.
La première partie du bouquin est un peu longuette. Les répétitions propres à toute forme de conte agacent un peu : les multiples enfantements, les combats de coqs sans cesse recommencés (le mari de Frasquita y perd ses meubles, et puis sa maison, et puis sa femme elle-même).
À mi-chemin, l'histoire bouillonnante et picaresque prend enfin son envol en même temps que Frasquita prend sa liberté sur les chemins poussiéreux d'Andalousie, tirant sa charrette et toute sa marmaille.
On a alors le plaisir de croiser en route toutes sortes de fantasques personnages : une sage-femme qui met au monde les petits du village tandis que son grand fils joue les ogres, des robins des bois anarchistes citant Bakounine tandis que gronde la révolte des paysans contre la garde civile et les riches terriens propriétaires des oliveraies, un étrange fantôme de meunier qui moud des pierres de craie depuis que les hommes de la vallée ne lui apportent plus leur blé, ...
[...] Le doyen des Gitans surtout passa du temps à ses côtés.
" C'est nous, les Gitans, qui faisons tourner la Terre en marchant. Voilà pourquoi nous avançons sans jamais nous arrêter plus de temps qu'il ne le faut. Mais toi, pourquoi marches-tu, la belle, pourquoi chemines-tu comme les cigognes en hiver vers le sud, avec ta nichée derrière toi et tous leurs petits pieds sanglants ? Pourquoi leur imposer un tel voyage ? "
Tout cela est plein de poésie, d'humour et de vie.
Carole Martinez n'hésite pas à revisiter subtilement les mythes et l'on n'imaginait pas les pentes de la Sierra Nevada si fréquentées : le petit poucet, pandore, pénélope, frankenstein, ...
Dans la généreuse paella de Dona Martinez il y a du bon et du moins bon : les morceaux sont copieux, les parfums épicés, les saveurs fortes. À chacun d'y picorer selon ses goûts et appétits.
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(1) : de rares indices nous situent à la fin du XIX°, pendant ce qu'on appelle la Révolution Cantonale de 1873.
Pour celles et ceux qui aiment les andalouses.
Folio édite en poche ces 440 pages qui datent de 2007.
Constance, L'or des chambres, Lilounette, en parlent.