12 mai 2010
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En regardant infuser le maté.
Après L'autobus dont avait parlé il y a deux ans jour pour jour, voici un second livre étrange venu d'Argentine : La pièce du fond, d'Eugenia Almeida.
Comme avec l'autobus, la vie tranquille et endormie d'une petite ville de province est perturbée par un événement insolite ... les comportements routiniers vacillent, les langues se délient ...
Cette fois c'est un vieil homme, à demi SDF, qui s'installe sur un banc de la place.
Il ne dit pas un mot, n'ouvre pas le bec. À peine pour manger lorsque la petite serveuse du café lui apporte en douce le menu du jour.
Eugenia Almeida excelle à dépeindre l'immobilisme, l'attentisme, le caractère immuable des gens et des choses lorsque la vie s'est arrêtée : le village et ses habitants sont comme écrasés de chaleur et de soleil.
L'un des flics du village finit par embarquer le vagabond muet et l'envoie vers les psys de la ville ...
Son collègue trouve qu'il en a fait un peu trop et se met à la recherche du vieil homme, tout comme la petite serveuse du bar. Ils rencontreront une étrange psy. Ces trois-là vont se croiser, se rencontrer, s'éloigner, tournant autour de l'absence du vieil homme muet que l'on ne reverra plus : un seul être vous manque et cela suffit pour bousculer vos habitudes, pour remuer le fond de vos pensées.
Chacun part à la recherche de la clé qui permet d'ouvrir la pièce du fond, du fond de sa tête, la pièce aux souvenirs soigneusement enfouis sous la poussière ...
Eugenia Almeida a une belle écriture sobre et sèche, sans effets ni esbroufe. Mais c'est une écriture difficile et exigeante. On avait trouvé un peu plus facile d'embarquer dans L'autobus.
Pereyra est le flic qui a embarqué le vagabond, son collègue Friàs partira à sa recherche :
[...] - Mais pourquoi tu te casses la tête à cause de ça ?
- Parce que je veux savoir comment il va.
- Toujours pareil. Il ne parle même pas.
Pereyra se tait, pris de doute, puis demande :
- Avec toi il a parlé ?
- Ce n'est pas nécessaire.
Friàs reprend la pipette dans sa bouche pour aspirer une ultime gorgée de maté.
- Écoute vieux. Je sais que tu fais tout ça avec de bonnes intentions. Mais tu ne peux pas t'occuper de tout.
- J'aimerais bien parler avec lui, dit Friàs en passant sa main sur la table. Pour enlever la poussière du verre, en caressant ou effaçant ce qui n'y est pas.
- Toi, alors ! Si l'autre ne répond pas, ce n'est pas une conversation.
- Tu ne comprends pas. Il me regardait. Il ne parle pas, mais il écoute. Je lui racontais des choses ... des choses de moi. Tu vas finir par piger.
- Allez, ne te fâche pas. Raconte-les moi.
- Ce n'est pas pareil.
- Trop aimable, dit Pereyra en feignant d'être vexé.
- Ce n'est pas toi qui est en cause.
Un livre où l'on découvre l'art et la manière de faire infuser le maté.
Métailié édite ces 200 pages traduites de l'espagnol par François Gaudry et qui datent de 2007 en VO.
Pour celles et ceux qui aiment quand il ne se passe rien.
Pour celles et ceux qui aiment quand il ne se passe rien.