Sympathique découverte que ce polar historique de Thierry Bourcy, que C&B nous ont prêté.
Les traîtres est la quatrième aventure de Célestin Louise, policier des Brigades du Tigre, engagé sur le front pendant la Grande Guerre de 14-18.
Tout commence dans les tranchées, dans la gadoue et le froid de l'hiver 1917, quand quelques poilus tentent d'améliorer le rata ordinaire en taquinant le goujon ...
[...] Il avait encore neigé sur la fin de la nuit, des flocons légers que les rafales tourbillonnantes du vent d'est soulevaient en nuages blancs et qui venaient mourir au pied des arbres. À l'aube, il s'étaient cristallisés et craquaient sous les pas. Un soleil jaune pâle, rasant, illuminait tout un côté des arbres comme une immense lampe artificielle. Gabriel Fontaine soupira et remit en place son cache-nez mangé aux mites. Il préférait les ciels de nuages qui laissaient l'air plus doux, ou les matins de brume, quand l'eau du lac se devinait à peine, juste un peu plus dense et grise que le voile de brouillard. C'était ces jours-là qu'il faisait ses meilleures pêches. Trop de soleil ne valait rien. Sans compter que, si on choisissait mal son coin, on pouvait se faire aligner par un tireur d'élite d'en face. Pourtant, depuis que les deux armées avaient creusé leurs tranchées de chaque côté du lac et qu'on n'avait plus le droit, officiellement, d'y venir, le poisson s'était multiplié. Certaines fois, on eût dit que les tanches et les goujons se bousculaient pour engloutir l'hameçon. Le poisson frétillant à peine décroché et jeté dans le trou d'eau qui lui servait de seau, le poilu avait tout juste le temps de changer l'appât et de lancer sa ligne que, déjà, une autre prise faisait disparaître le petit flotteur. Fontaine faisait bien attention à remballer son attirail avant la fin de la matinée, il y avait souvent des patrouilles sur le coup de midi, et il ne tenait pas à les rencontrer. Il s'était fait prendre, une fois, il s'en était tiré en offrant sa pêche aux gars. Fontaine savait bien que c'était à tout coup prendre des risques : il ne se passait pas une semaine sans qu'un obus mal ajusté ne tombât dans le lac, ou n'explosât sur l'une des deux rives. Ce sacrifice obligé des poissons aux dieux de la guerre n'avait pas d'incidence réelle sur les pêches du soldat qui pestait quand même à chaque fois qu'il découvrait un nouveau cratère sur ce qu'il considérait désormais comme son domaine. Son lieutenant, le jeune Doussac, fermait les yeux et la section se régalait.
Ce matin-là,ce ne fut pas une nouvelle trace d'explosion qui arracha un juron au poilu. Un corps inanimé était étendu sur la berge, le visage plongé dans l'eau, les pieds pris dans les joncs. Fontaine, malgré lui, s'approcha. Le type était mort. C'était un jeune poilu dont le visage, bien que gonflé et bleui, lui était vaguement familier. Il le dégagea des hautes herbes et l'allongea sur la rive. Fontaine, qui en avait tant vu, de ces jeunes morts, repéra immédiatement sur la poitrine une tache plus sombre.
C'est donc à Célestin Louise que reviendra l'enquête sur ce corps poignardé, découvert ce matin-là par le soldat Fontaine. Le corps encombrant d'un témoin des trafics peu orthodoxes qui se déroulent autour du lac, entre les tranchées. Bien vite on devine que des armes passent d'un camp à l'autre avec la bénédiction de certains officiers qui ont trouvé là le moyen de s'enrichir, quitte à sacrifier quelques vies de plus.
L'enquête de Célestin Louise nous emmènera de tranchée en tranchée jusque chez les planqués de l'arrière, à Paris.
Malgré quelques descriptions parfois maladroites et un peu trop appliquées, voilà un petit bouquin qui se lit avec facilité et plaisir.
La dure vie des poilus qui tentent de survivre dans cette grande boucherie, soigneusement retranscrite, est bien sûr le principal intérêt de ce presque documentaire : ou comment s'accommoder de l'horreur ordinaire.
Un livre où l'on découvre comment un bombardement d'artillerie est le plus sûr moyen d'effacer les traces d'une scène de crime.
Pour celles et ceux qui aiment les poilus.
Folio policier édite ces 233 pages qui datent de 2008.
LeNocher en parle. Cathe également.