De Donna Leon qui est un peu à la botte italienne ce que Fred Vargas est à notre hexagone, on a déjà dit et redit tout le bien qu'on pensait , notamment à l'occasion de ses deux derniers polars : Dissimulation de preuves et surtout Sang d'ébène.
Elle figure même au best-of 2009.
Au fil des épisodes, lentement et sûrement, l'américano-vénitienne installe ses décors, ses ambiances, son style et ses personnages autour du commissaire Brunetti.
Au fil du temps, les personnages ont gagné en épaisseur et en profondeur, l'auteure a trouvé maturité et assurance.
Au point que pour ce Requiem pour une cité de verre, Donna Leon se paie le luxe de ne faire survenir le drame qu'à mi-parcours : pendant toute la première partie du bouquin le commissaire Brunetti promène sa classe et sa nonchalance au gré des canaux et des ruelles et il faut attendre la page 170 (sur 340 !) pour qu'un cadavre vienne quand même troubler les eaux tranquilles de La Sérénissime. Et c'est ce qu'on préfère dans les calmes errances de l'enquêteur.
On prend ainsi le temps de savourer avec lui les plaisirs de Venise et ceux de la cuisine de son épouse Paola (prof de littérature comme Donna Leon) :
[...] Sur la table de la cuisine, il trouva un mot de Paola lui disant qu'elle devait rencontrer un étudiant dont elle dirigeait la thèse, mais qu'il y avait des lasagnes au four. Les enfants ne seraient pas à la maison et il y avait de la salade dans le frigo : ne restait plus qu'à ajouter l'huile et le vinaigre. Alors qu'il se mettait au travail en ronchonnant, furieux d'avoir traversé la ville pour être finalement privé de la compagnie des siens et forcé de faire réchauffer des trucs dans le four - des trucs sans doute préparés industriellement et dégoulinant de ce répugnant fromage américain orange, pour ce qu'il en savait - il s'aperçut que Paola avait ajouté un post-scriptum : Et ne fais pas cette tête, c'est la recette de ta mère.
Une autre femme côtoie (professionnellement s'entend !) notre élégant commissaire : la signorina Elettra, l'assistante du service de police au carnet d'adresses bien garni et reine du piratage informatique :
[...] "Le rapport de la main courante sur la non-arrestation du signor De Cal ; la demande de permis de conduire de Ribetti et les documents afférents - la seule chose que nous ayons sur lui ; le compte-rendu de l'arrestation de Bovo pour agression, mais c'est une histoire qui date de six ans ; et des copies des lettres que Tassini nous envoie depuis plus d'un an, accompagnées des dossiers médicaux de sa femme et de sa fille". Il restait encore un certain nombre de documents sur la table et Brunetti, quand elle se tut, demanda ce que c'était. Elle le regarda avec un petit sourire gêné. "Des copies des déclarations fiscales de De Cal pour les six dernières années. Une fois que je commence à fouiner, une chose mène à une autre et j'ai un peu de mal à m'arrêter".
On savait l'élégante signorina redoutable au clavier : c'est confirmé !
Au fil des enquêtes de Brunetti, sans tapage ni fureur, Donna Leon brosse à petites touches un portrait peu reluisant de la vie sociale et politique de la lagune où trafics, magouilles et malversations sont les couleurs dominantes, comme en écho aux ors des anciens palais.
Cette fois-ci, c'est sur fond d'élection, d'écologie et de pollution industrielle qu'est planté le décor, ce qui donne l'occasion de quelques excursions jusqu'à Murano, l'île des maîtres verriers.
Même si le pamphlet écolo-politique n'est pas du tout le style de Donna Leon, on devine quand même dans ce portrait en demi-teinte que la transparence n'est pas la qualité première de la cité du verre ...
Pour celles et ceux qui aiment les canaux de la Sérénissime au printemps.
Points poche édite ces 340 pages qui datent de 2006 en VO et qui sont traduites de l'anglais (Donna Leon est une américaine qui vit à Venise) par William Olivier Desmond.