19 mars 2010
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Au temps béni des colonies.
Il était une fois.
Amadou Hampaté Bâ est l'auteur malien par excellence. D'origine peule, il est né à Bandiagara au pays Dogon avec le début du siècle et il s'éteindra un peu avant lui.
Ethnologue et écrivain reconnu, il prononcera à l'Unesco cette phrase restée célèbre : "En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle."
Avec L'étrange destin de Wangrin il a recueilli puis mis sur le papier les mémoires de cet étrange Wangrin, personnage réel mais ô combien insaisissable, dans tous les sens du terme.
Interprète officiel des gouverneurs (du temps où l'AOF recouvrait le Mali, le Sénégal et d'autres colonies françaises), il aura consacré sa vie à monter des arnaques en tout genre, grugeant indifféremment ses compatriotes et les colons français, aux seules fins de s'enrichir et d'asseoir son influence.
Si la concussion, la malversation et la prévarication étaient des disciplines olympiques, nul doute que le sieur Wangrin aurait réussit le grand chelem sans forcer.
Drôle d'idée donc que de brosser ainsi le portrait d'un noir a priori peu sympathique ... mais dont on ne peut s'empêcher de suivre avec intérêt les aventures abracadabrantes (et pourtant bien réelles, Hampaté Bâ nous l'a dit), racontées au rythme des contes et légendes de la brousse mais avec un suspense digne d'un polar.
Il faut dire que les crimes perpétrés par l'infâme Wangrin ne sont jamais bien graves(1) : il ne s'agit, après tout, que de trafics et d'argent, de l'argent des colons français venus s'enrichir en Afrique, juste retour de manivelle.
Et puis Wangrin se montre un étonnant connaisseur des ressorts de l'âme humaine, jaugeant précisément ses interlocuteurs, trouvant habilement leurs points faibles.
Enfin, tout cela est mené de main de maître es arnaque, au nez et à la barbe des gouverneurs français, roulés dans la farine de mil.
Il faut dire que Wangrin a été à bonne école : l'école des otages, comme on l'appelait alors, lorsque les colons réquisitionnaient de force les fils des notables de la brousse pour les avoir sous la main dans des écoles éloignées et ainsi s'assurer de la fidélité de leurs vassaux(2).
L'école des colons blancs coiffés du casque colonial : [...] Cette coiffure ridicule ne faisait pourtant rire personne. Bien au contraire elle inspirait la peur. C'était en effet la coiffure officielle et réglementaire des Blancs, ces fils de démons venus de l'autre rive du grand lac salé [...] C'était un emblème de noblesse qui donnait gratuitement droit au gîte, à la nourriture, aux pots-de-vin et, si le coeur en disait, aux jouvencelles aux formes proportionnées pour les plaisirs de la nuit.
Finalement, dans ce monde peu sympathique (c'est l'époque de la Grande Guerre), Wangrin nous apparaît plutôt humain et passe presque pour une sorte de Robin des Bois de baobabs, un Robin des Baobabs qui volait beaucoup les riches et donnait un peu aux pauvres et qui, comme la charité bien ordonnée, commençait par se servir lui-même.
Les histoires d'argent comme les histoires d'amour finissent mal, en général, et l'on se prend à la fin de ces aventures truculentes, à regretter ce trouble personnage, l'écriture impeccable d'Hampaté Bâ et le rythme répétitif des contes de la brousse ...
Un livre où l'on découvre les vilenies dont sont capables les colons blancs, et comment utiliser à son profit différents mécanismes de l'âme humaine (sans couleur celle-ci).
Voir aussi les polars de Moussa Konaté, un autre auteur malien.
_____________
(1) : bon d'accord, il joue quand même un temps les proxénètes avec une cousine adoptive ...
(2) : Hampaté Bâ y a également "séjourné".
Amadou Hampaté Bâ est l'auteur malien par excellence. D'origine peule, il est né à Bandiagara au pays Dogon avec le début du siècle et il s'éteindra un peu avant lui.
Ethnologue et écrivain reconnu, il prononcera à l'Unesco cette phrase restée célèbre : "En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle."
Avec L'étrange destin de Wangrin il a recueilli puis mis sur le papier les mémoires de cet étrange Wangrin, personnage réel mais ô combien insaisissable, dans tous les sens du terme.
Interprète officiel des gouverneurs (du temps où l'AOF recouvrait le Mali, le Sénégal et d'autres colonies françaises), il aura consacré sa vie à monter des arnaques en tout genre, grugeant indifféremment ses compatriotes et les colons français, aux seules fins de s'enrichir et d'asseoir son influence.
Si la concussion, la malversation et la prévarication étaient des disciplines olympiques, nul doute que le sieur Wangrin aurait réussit le grand chelem sans forcer.
Drôle d'idée donc que de brosser ainsi le portrait d'un noir a priori peu sympathique ... mais dont on ne peut s'empêcher de suivre avec intérêt les aventures abracadabrantes (et pourtant bien réelles, Hampaté Bâ nous l'a dit), racontées au rythme des contes et légendes de la brousse mais avec un suspense digne d'un polar.
Il faut dire que les crimes perpétrés par l'infâme Wangrin ne sont jamais bien graves(1) : il ne s'agit, après tout, que de trafics et d'argent, de l'argent des colons français venus s'enrichir en Afrique, juste retour de manivelle.
Et puis Wangrin se montre un étonnant connaisseur des ressorts de l'âme humaine, jaugeant précisément ses interlocuteurs, trouvant habilement leurs points faibles.
Enfin, tout cela est mené de main de maître es arnaque, au nez et à la barbe des gouverneurs français, roulés dans la farine de mil.
Il faut dire que Wangrin a été à bonne école : l'école des otages, comme on l'appelait alors, lorsque les colons réquisitionnaient de force les fils des notables de la brousse pour les avoir sous la main dans des écoles éloignées et ainsi s'assurer de la fidélité de leurs vassaux(2).
L'école des colons blancs coiffés du casque colonial : [...] Cette coiffure ridicule ne faisait pourtant rire personne. Bien au contraire elle inspirait la peur. C'était en effet la coiffure officielle et réglementaire des Blancs, ces fils de démons venus de l'autre rive du grand lac salé [...] C'était un emblème de noblesse qui donnait gratuitement droit au gîte, à la nourriture, aux pots-de-vin et, si le coeur en disait, aux jouvencelles aux formes proportionnées pour les plaisirs de la nuit.
Finalement, dans ce monde peu sympathique (c'est l'époque de la Grande Guerre), Wangrin nous apparaît plutôt humain et passe presque pour une sorte de Robin des Bois de baobabs, un Robin des Baobabs qui volait beaucoup les riches et donnait un peu aux pauvres et qui, comme la charité bien ordonnée, commençait par se servir lui-même.
Les histoires d'argent comme les histoires d'amour finissent mal, en général, et l'on se prend à la fin de ces aventures truculentes, à regretter ce trouble personnage, l'écriture impeccable d'Hampaté Bâ et le rythme répétitif des contes de la brousse ...
Un livre où l'on découvre les vilenies dont sont capables les colons blancs, et comment utiliser à son profit différents mécanismes de l'âme humaine (sans couleur celle-ci).
Voir aussi les polars de Moussa Konaté, un autre auteur malien.
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(1) : bon d'accord, il joue quand même un temps les proxénètes avec une cousine adoptive ...
(2) : Hampaté Bâ y a également "séjourné".
Pour celles et ceux qui aiment les contes africains.
Les éditions 10-18 éditent en poche ces 366 pages qui datent de 1973 ou de Ramadan 1391.
D'autres avis sur Critiques Libres. Nathalie parle longuement de l'auteur et du livre sur Littexpress.
Les éditions 10-18 éditent en poche ces 366 pages qui datent de 1973 ou de Ramadan 1391.
D'autres avis sur Critiques Libres. Nathalie parle longuement de l'auteur et du livre sur Littexpress.