Devoir de mémoire.
Après Indigènes, Rachid Bouchareb poursuit sa trilogie algérienne avec Hors la loi qui met en scène, non pas la Guerre d'Algérie dans son ensemble, mais plus précisément l'activisme du FLN en France et à Paris, des bidonvilles de la banlieue ouest aux usines Renault, et notamment la collecte des fonds destinés à financer la révolution et la guerre d'indépendance.
Histoire (avec un grand H !) de bien planter le décor, de bien ancrer le propos, le film s'ouvre(1) sur la manifestation de Setif, le 8 mai 1945 et se termine sur celle de Paris, le 17 octobre 1961 où notre bienveillant préfet Papon s'illustra.
Disons le tout de go, le film de Bouchareb est plutôt maladroit et appliqué : le sujet est (toujours) sensible, le cinéaste veut (trop) bien faire.
Le résultat est très académique et entend visiblement coller à ses modèles comme L'armée des ombres de Melville.
Cela étant dit, ce film a le mérite d'exister et d'éclairer, pour le grand public, une page de notre Histoire rarement mise en scène.
On connait bien maintenant l'épisode sinistre du 17 octobre 61 et la répression féroce qui suivit, au point que la Seine charriait des cadavres.
Ce que l'on feint souvent d'ignorer par contre, c'est la manifestation de Sétif et les massacres qui s'ensuivirent.
Le 8 mai 45 à Sétif on fête la victoire comme partout ailleurs. Les nationalistes algériens profitent de cette tribune pour défiler pacifiquement.
La manifestation dégénère et on déplore quelques morts ... mais pendant plusieurs jours l'armée française va s'acharner sur la population et cette affaire tournera vite au véritable massacre organisé. L'aviation et la marine bombarderont les villages. Les estimations les plus basses parlent de plus de dix mille morts !
Le film de Bouchareb (sans doute soucieux de consensus) n'évoque ce massacre que de façon très light et très partielle(2) mais a le mérite d'ancrer le sentiment nationaliste algérien au coeur de ces terribles événements.
Même si la guerre d'Algérie ne commencera officiellement que neuf ans plus tard, lors de la Toussaint Rouge de 1954.
Outre le rappel de ces événements historiques, Hors la loi a également l'intérêt de bien enraciner ses personnages dans toutes les guerres de cette époque décidément très agitée.
Bien sûr la Guerre de 40 (voir Indigènes) mais également la Guerre d'Indochine puisqu'à Dien Bien Phu, l'armée coloniale et les algériens seront également présents aux côtés des soldats de métropole. Ils verront les combattants du Viet-Minh conquérir leur indépendance. Puis tout le monde rentrera d'Indochine pour se retrouver parfois dans des camps opposés, à Alger comme à Paris.
S'il vous fallait une dernière raison - et non des moindres - d'aller voir ce film, lisez cet article du Monde, daté du mois de mai (peu avant le Festival de Cannes) et co-signé par plusieurs personnalités, qui évoque le financement du film et les critiques de certains députés de droite regrettant ouvertement de ne pas avoir pu censurer l'apport des fonds publics.
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(1) : en fait, la scène d'ouverture est encore plus ancienne, avant Guerre(s), avec l'humiliation des paysans algériens lors des expulsions coloniales
(2) : quelques cadavres alignés sur les trottoirs de Sétif le jour même de la manifestation