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Ils prirent place dans le salon. Erlendur raconta à Eva Lind les tenants et aboutissants de l'enquête, il lui
expliqua où celle-ci l'avait mené et lui fit part des idées qui étaient en train de germer dans sa tête. Il le fit tout autant afin de cerner lui-même le problème que d'avoir une image plus nette
de ce qui s'était produit au cours des jours précédents. Il lui raconta pratiquement tout, en partant du moment où ils avaient découvert le cadavre de Holberg dans l'appartement, lui parla de
l'odeur qui régnait chez lui, du message, de la vieille photo à l'intérieur du bureau, du matériel pornographique sur son ordinateur, de l'inscription sur la pierre tombale, de Kolbrun et de sa
sœur Elin, d'Audur et de son décès inexpliqué, du rêve qu'il avait fait, d'Ellidi à la prison et de la disparition de Grétar, de Marion Briem, de la recherche d'une autre victime de Holberg et de
l'homme devant la maison d'Elin, lequel était probablement le fils de Holberg. Il essaya de relater les faits de manière ordonnée et développa diverses théories qu'il argumenta ainsi que diverses
opinions personnelles jusqu'à ce qu'il se trouve à court et arrête de parler.
Il ne raconta pas à Eva Lind que le cerveau était manquant sur la dépouille de l'enfant. Il n'avait pas encore
compris comment cela se faisait.
Eva Lind l'écouta sans l'interrompre et remarqua qu'Erlendur passait sans cesse sa main sur sa poitrine
pendant qu'il parlait. Elle sentit à quel point l'enquête sur Holberg lui sapait le moral. Elle décela en lui une sorte de désespoir qu'elle n'avait jamais entrevu auparavant. Elle sentit la
lassitude qui l'habitait pendant qu'il parlait de la petite fille. On aurait dit qu'il disparaissait en lui-même, sa voix se faisait plus basse et il semblait lointain.
- Audur, est-ce que c'est la petite fille dont tu parlais quand tu m'as hurlé dessus ce matin ? demanda Eva
Lind.
- C'était, enfin, je ne sais pas, elle était comme un don du ciel pour sa mère, dit Erlendur. Elle a été aimé
par-delà la mort, jusque dans la tombe. pardonne-moi d'avoir été si méchant avec toi. Ce n'était pas mon intention, mais quand je vois la façon dont tu vis, quand je vois à quel point tu manques
de respect et d'attention envers ta propre personne, quand je vois en toi cette autodestruction et tout ce que tu t'obliges à subir et que je regarde ensuite un petit cercueil blanc sortir de la
terre, alors je ne comprends plus rien à rien. Alors, je ne comprends pas ce qui se passe et j'ai envie de ...
Erlendur marqua une pause.
- D'extirper de moi une étincelle de vie, avança Eva Lind.
Erlendur haussa les épaules.
- Je n'ai aucune idée de que j'ai envie de faire. Peut-être vaut-il mieux ne rien faire. Peut-être vaut-il
mieux laisser la vie suivre son cours. Oublier tout ça. Et entreprendre quelque chose d'intelligent. Pourquoi donc aurait-on envie de patauger là-dedans ? Dans toute cette merde. De parler avec
des gars comme Ellidi. De pactiser avec des traîtres comme Eddi. De voir ce qui amuse des gens comme Holberg. De lire des plaintes pour viol. D'aller fouiller des fondations d'immeuble regorgeant
de vermine et de merde. De faire exhumer de petits cercueils.
Erlendur passait sa main de plus en plus fort sur sa poitrine.
- On s'imagine que ça n'attaque pas le moral. On se croit assez fort pour supporter de telles choses. On pense
qu'avec les années, on se forge une carapace, qu'on peut regarder tout ce bourbier à bonne distance comme s'il ne nous concernait en rien et qu'on peut ainsi parvenir à se protéger. Mais il n'y a
pas plus de distance que de carapace. Personne n'est suffisamment fort. L'horreur prend possession de ton être comme le ferait un esprit malin qui s'installe dans ta pensée et te laisse en paix
seulement lorsque tu as l'impression que ce bourbier est la vie réelle car tu as oublié comment vivent les gens normaux. Voilà le genre d'enquête que c'est. Elle est semblable à un esprit
malfaisant qui aurait été libéré et s'installerait dans ta tête jusqu'à te réduire à l'état de pauvre type.
Erlendur soupira profondément.
- Tout ça n'est rien d'autre qu'un foutu marécage.
Il se tut et Eva Lind demeurait silencieuse avec lui.
Il s'écoula un petit moment avant qu'elle se lève, vienne s'asseoir à côté de son père, le prenne dans ses
bras puis se pelotonne tout contre lui. Elle entendait le battement régulier de son cœur, comme une horloge apaisante, et s'endormit finalement avec petit sourire sur le visage.