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Un article du 8 avril 2010 du New-York Times repris dans le n° 1014 de Courrier international.
Ou comment les US entendent bien rester en guerre.
En début d’année, sur la base américaine Joint Base Balad, en Irak, une “FOB in a box” – expression militaire désignant les quatre-vingts conteneurs renfermant les tentes, douches et matériel de construction nécessaires à l’installation d’une base d’opération avancée (FOB, forward operating base, un avant-poste) – a été chargée sur des camions pour être transportée d’une guerre à une autre.
Jamais utilisée en Irak, la FOB a été acheminée vers le nord jusqu’en Turquie, ensuite vers l’est à travers la Géorgie et l’Azerbaïdjan, chargée sur des navires pour traverser la mer Caspienne jusqu’au Kazakhstan, puis transportée vers le sud par les vieilles lignes ferroviaires russes d’Ouzbékistan, pour arriver enfin dans le nord de l’Afghanistan. Là, après deux mois et demi d’un périple de 3.700 kilomètres à travers sept pays, elle a été assemblée courant mars pour accueillir plusieurs centaines des milliers de soldats américains qui arrivent en renfort dans le pays.
Pour parvenir à envoyer rapidement 30.000 hommes supplémentaires en Afghanistan tout en réduisant de 50.000 hommes les forces américaines en Irak, les responsables militaires américains doivent orchestrer l’un des plus vastes mouvements de troupes et de matériel depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les autorités militaires estiment que transférer une telle quantité d’hommes et de matériel (plusieurs milliards de dollars de matériel, d’armes, de logements, de carburant et de nourriture) d’ici la date butoir du mois d’août prochain est aussi délicat et difficile que ce qui se passe sur le champ de bataille.
Les responsables militaires disent que c’est aussi difficile que de faire entrer un ballon de basket dans une pipette, notamment en ce qui concerne la route d’approvisionnement, qui emprunte la passe de Khyber, reliant le Pakistan et l’Afghanistan.
L’année dernière, un si grand nombre de convois chargés de matériel américain ont été attaqués par les insurgés au Pakistan que les Américains équipent désormais chaque camion d’un GPS dont les données sont surveillées par vidéo vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis une base militaire située aux Etats-Unis. Les talibans avaient également fait sauter un pont proche de la route, ce qui avait interrompu temporairement la circulation des convois.
“Quand Hannibal a fait franchir les Alpes à son armée, il a dû résoudre un formidable problème logistique, mais ce n’était rien par rapport aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui”, souligne le général William G. Webster, chef de la IIIe Armée américaine. Le général n’emmène pas une troupe d’éléphants à travers la montagne, mais l’ampleur et la complexité de l’opération actuelle sont ahurissantes.
D’après les militaires, il s’agit de gérer 3,1 millions de pièces de matériel allant du tank à la machine à café. Environ 2 millions devront quitter le pays, dont environ la moitié iront en Afghanistan, où l’organisation logistique a déjà atteint la limite de ses capacités. Sur la base aérienne de Bagram, le principal aéroport de l’armée américaine en Afghanistan, la surpopulation est telle qu’on s’y dispute les lits et que certaines unités s’entassent dans des tentes dressées le long des pistes d’envol. Avions de transport, bombardiers, chasseurs, hélicoptères et drones encombrent le ciel dans l’attente de l’autorisation d’atterrir.
Une véritable course contre la montre d’ici au mois d’août.
Tous les matériels de combat arrivent par avion pour éviter les attaques, mais le reste est livré par voie maritime ou terrestre. Pour aller d’Irak en Afghanistan, l’itinéraire standard consiste à filer par la route de Bagdad vers le sud en traversant le Koweït, franchir par bateau le golfe Arabo-Persique et le détroit d’Ormuz jusqu’à Karachi, au Pakistan, puis terminer le trajet par la route.
La FOB in a box, elle, a suivi un trajet expérimental et potentiellement moins coûteux par la Turquie, afin de rejoindre une nouvelle route traversant le nord de l’Asie centrale qui a été ouverte l’année dernière pour acheminer le matériel venant d’Europe et des Etats-Unis à destination de l’Afghanistan en évitant le dangereux voyage à travers le Pakistan.
Les deux routes contournent l’Iran, dont la traversée serait de loin le moyen le plus direct de rejoindre Kaboul à partir de Bagdad, chose bien entendu impossible à envisager étant donné l’hostilité de Téhéran à l’égard des Etats-Unis.
La principale inquiétude des chefs militaires est que l’arrivée du matériel et de l’approvisionnement ne soit pas synchronisée avec celle des troupes. Leur plus grand adversaire, soulignent-ils, est le peu de temps qu’il leur reste avant le mois d’août, la date butoir fixée pour l’achèvement des plans d’opérations concernant les deux guerres.
Au début de l’année 2009, le président Obama et les chefs militaires se sont mis d’accord sur un plan de retrait visant à ramener à 50.000, avant le 31 août 2010, le nombre de soldats américains en Irak (où ils sont actuellement 97.000), la totalité des forces américaines devant avoir évacué le pays en 2011. A la fin de l’année dernière, M. Obama a demandé aux responsables militaires d’accélérer l’envoi des troupes supplémentaires en Afghanistan – les planificateurs militaires avaient d’abord dit que cela prendrait dix-huit mois – afin que 30.000 hommes aient été déployés sur place avant la fin du mois d’août.
Pour l’instant, environ 6.000 soldats sont arrivés en renfort en Afghanistan. Lorsque tous auront été acheminés, il y aura en Afghanistan près de 100.000 soldats américains. “L’administration tient beaucoup à pouvoir présenter des résultats rapidement”, remarque le vice-amiral Alan S. Thompson, directeur de la Defense Logistics Agency. Il y a de toute évidence des goulots d’étranglement, reconnaît-il, mais “je pense que nous y arriverons”.